Données de spatialisation

Problématique scientifique

A travers le monde, il existe différents protocoles permettant d'acquérir des données de spatialisation de l'activité de pêche. Globalement, ceux-ci relèvent de deux catégories :

  • soit des données collectées en flux continus, généralement automatiques comme dans le cas du Vessel Monitoring System ou de l'Automatic Identification System (Pedersen et al 2009, Stelzenmüller et al 2008, Bastardie et al 2010, Jennings and Lee 2012) ou manuels dans le cas des données logbooks ou issues des Day Trip Reports (Breeze et al 2005, Simms et al 2007, St-Martin and Hall-Arber 2008) ;
  • soit des données collectées de manière ponctuelle, comme les observations et comptages à partir de points fixes au sol ou campagnes de survol aérien (Léauté 1998, Dalton et al 2010), entretiens individuels ou collectifs (des Clers et al 2008, Hall and Close 2007, Kafas et al 2014, Lieberknecht et al 2011).

Inévitablement, les données issues de ces différents systèmes présentent des avantages, mais aussi des inconvénients qu'il convient d'apprécier au regard de leurs objectifs initiaux (évaluation des stocks, sécurité maritime, contrôle des pêches, etc.) et des besoins en matière d'aménagement de l'espace maritime, pour l'essentiel :

  • segment de flottille trop réduit (e.g. le VMS ne concerne que les navires de plus de 12 m en Europe, soit environ 20% des navires de pêche professionnel en France),
  • granularité spatiale trop large (e.g. données logbooks),
  • ou encore couverture géographique et/ou temporelle limitée (données d'enquêtes, de comptages ou d'observations ponctuels).

Ainsi, elles n'apparaissent pas, en l'état, adéquates pour répondre aux questions de spatialisation des pratiques de pêche pour les besoins de l'aménagement de l'espace maritime.

Au-delà, même si elles étaient pertinentes dans ce cadre, les données de spatialisation classiquement produites par des dispositifs ex-situ ne permettent pas aux pêcheurs de voir leurs intérêts pris en compte au même titre que ceux d'autres acteurs de l'aménagement de l'espace maritime (Jentoft and Knol 2014). Il convient donc de porter l'attention sur la construction d'une méthode permettant aux représentants des pêcheurs d'être eux-mêmes en capacité de produire des données, complémentaires aux dispositifs existants, autrement dit leur donner les moyens de devenir pleinement des acteurs de l'aménagement de l'espace maritime. En cela, la démarche rejoint la reconnaissance de l'intérêt de la valorisation in-situ des savoirs non scientifiques (Agrawal 2002) ; posture qui va au-delà des démarches classiques en participant d'une nécessaire réduction de la distance entre savoirs scientifiques et non-scientifiques dans la perspective d'une co-gestion (Armitage et al 2009, Berkes et al 2000, Olsson et al 2004).

Au-delà de son intérêt opérationnel, la démarche VALPENA soulève des questions scientifiques passionnantes, notamment autour de cinq axes de recherche, le plus souvent à l'interface entre plusieurs disciplines :

  • sur la donnée elle-même (échantillonnage, indicateurs...)
  • concernant l'étude de la variabilité spatio-temporelle et des mécanismes à l'oeuvre dans la définition des stratégies de pêche
  • à propos de l'évaluation du processus d'empowerment des Comités des pêches
  • sur les modalités de valorisation in-situ et l'explicitation de la dimension spatiale des savoirs des pêcheurs
  • plus globalement sur la planification de l'espace maritime (activités "traditionnelles" versus "nouvelles", activités fortement distribuées a priori rétives au zonage comme la pêche, cohabitations et compatibilités, etc.).

Description de la donnée

En confrontant différentes modalités de collecte aux possibilités de mise en œuvre par les Comités des pêches, la méthodologie VALPENA se concentre sur l'acquisition de données de spatialisation en flux réguliers et sur une base déclarative afin de contourner les problèmes inhérents à chacun des dispositifs testés ou en place (Patrier 2010, Alexandre 2010, Beunaiche 2011, Trouillet 2011, Trouillet 2013a, 2013b). Elles sont collectées dans le cadre d'enquêtes de terrain déployées annuellement par les Comités de pêche (non par le GIS), auprès de l'ensemble des segments de flottilles, par unité de navire. Dès l'origine, l'interopérabilité avec des systèmes de suivi complémentaires dans leurs configurations et leurs objectifs a été recherchée :

  • le référentiel géographique utilisé dans VALPENA (constitué de mailles géométriques d'environ 3 milles de côté) est une subdivision des rectangles statistiques du CIEM,
  • la typologie des engins provient du DCF,
  • la nomenclature pour les noms d'espèces provient de la base ASFIS de la FAO.

Les données VALPENA (« navire*mois*maille*engin*espèce_ciblée ») se présentent sous une forme particulière :

  • pour une même maille, un navire pêchant au cours d'un mois donné (un ou plusieurs jours/marées), avec un même engin et en ciblant une même espèce donnera lieu à une seule occurrence dans la table de données,
  • pour une même maille, un navire pêchant au cours d'un mois donné (un ou plusieurs jours/marées), avec soit un autre engin soit en ciblant une autre espèce occasionnera plusieurs occurrences dans la table.

Offrant des possibilités d'agrégation et de désagrégation, cette donnée permet donc de cartographier les espaces de pratique d'un navire ou d'une flottille, en fonction de différents paramètres offrant des possibilités de couplage :

  • l'engin mis en œuvre,
  • l'espèce ciblée (trois maximum),
  • le mois,
  • diverses autres caractéristiques (port d'attache, longueur, etc.).

Par conséquent, si les données ainsi collectées permettent d'informer les modalités de fréquentation spatiale des flottilles de pêche, elles ne sauraient par contre constituer un élément permettant de caractériser l'effort de pêche tel que défini par FAO (2001), même en cinquième priorité. En revanche, les données VALPENA pourraient éventuellement permettre de mieux spatialiser la donnée d'effort de pêche pour certaines catégories de flottilles.

Les données VALPENA sont la propriété individuellement de chaque professionnel qui répond aux enquêtes des Comités de pêche (ceux-ci les déclarent donc à la CNIL). Par contre, les modalités d'utilisation des données (traitements possibles) sont fixées par le GIS.

Collecte


Chaque année n, les Comités de pêche déploient des enquêtes auprès des patrons-pêcheurs à propos de la reconstitution de leur activité l'année n-1. Il s'agit d'un entretien semi-directif individuel d'une durée variable (entre 15 min et 2h) qui permet, avant même la collecte de données de spatialisation, de maintenir voire de créer une relation entre les professionnels et leurs représentants. En appui à l'entretien, l'enquêteur et le patron-pêcheur enquêté peuvent mobiliser différents supports qui vont permettre de reconstituer le plus fidèlement possible les espaces de pêche fréquentés l'année précédente (données des journaux de bord, traces Maxsea, etc.).

Comme toute enquête déclarative, les enquêtes VALPENA présentent des limites difficilement quantifiables, liées au contexte de l'enquête (actualité, fatigue des enquêtés, etc.) ou encore aux mauvaises déclarations (intentionnelles ou non). De manière à les limiter au maximum, est mis en place un exercice systématique de double restitution/validation pour chaque campagne d'enquête :

  • individuelle : chaque répondant reçoit une carte résumant l'ensemble de son activité telle qu'il l'a déclarée ;
  • collective : dans chaque port (ou par secteur géographique lorsque les flottilles sont dispersées), une réunion est organisée dans le but de montrer et de contrôler l'activité de la flottille concernée.

Dans cet exercice, les Comités des pêches doivent expliquer que la qualité des informations fournies par les déclarants est le gage d'une bonne prise en compte de leurs intérêts (une mauvaise déclaration d'un enquêté entraîne une mauvaise prise en compte de ses intérêts). Pour autant que ce soit possible, il conviendrait de pouvoir mener des analyses comparatives des données VALPENA avec des données issues d'autres dispositifs de suivi (présentant eux-mêmes inévitablement des limites) permettant de spatialiser au moins partiellement les activités de pêche.

Au plan de la collecte des données, trois risques majeurs ont été identifiés :

  • l'absence de certitude pour les Comités des pêches de disposer de moyens pour enquêter la totalité des navires chaque année dans la durée ;
  • une possible lassitude des pêcheurs d'être enquêtés chaque année, a fortiori dans la mesure où ils font déjà l'objet de nombreuses enquêtes ;
  • des erreurs humaines de la part des enquêteurs au moment de la saisie des données.

Plans d'échantillonnage

Pour pallier les deux premiers risques, dès 2012, il a été décidé de mettre en place des enquêtes selon un plan d'échantillonnage (PE), à intercaler avec une année d'enquête à visée exhaustive afin de pouvoir répondre à des questions complémentaires. Le premier PE (PE1) consistait à n'enquêter qu'un tiers de la flotte chaque année, de manière à couvrir l'intégralité de la flotte au bout de trois années, permettant d'obtenir une « année moyenne ». Ce PE a été déployé au sein du CRPMEM Pays de la Loire entre 2013 et 2015 (le premier entré dans le dispositif). Afin de tester l'efficacité de ce PE, il a été confronté à deux autres PE stratifiés aléatoires simples, avec allocation proportionnelle (PEstrat et PEstratn) mis en place grâce aux techniques de la théorie des sondages (Ardilly 2006, Lumley 2010, Tillé 2001) :

  • PE1 : 1/3 de la flotte enquêtée chaque année (terme du cycle : 3 ans) ; stratification basée sur le type d'engin utilisé et un critère géographique (quartier, port ou groupement de ports en fonction des cas) ;
  • PEstrat : 1/3 de la flotte enquêtée (terme du cycle : 3 ans) ; stratification "1er engin" affinée grâce au savoir des comités, à un critère géographique (quartier, port ou groupement de ports en fonction des cas) et à la longueur des navires;
  • PEstratn : taille de l'échantillon optimisée en utilisant la théorie des sondages (Tillé 2001), stratification identique à celle du PEstrat.

La construction de ces PE est détaillée dans Plissonneau (2014). Bellanger et al (2015) ont montré que le plan d'échantillonnage stratifié (PEstratn) proposé permet d'enquêter un nombre de navires plus faible que celui du PE1, avec une précision meilleure, tout en respectant un tirage totalement aléatoire, et permet d'obtenir une représentativité de l'activité de l'ensemble de la flottille. Le PE2 est donc construit de la manière suivante :

  • La base "Navires" constituée lors des années d'enquêtes exhaustives sert de référence ;
  • La stratification de la flottille est basée sur des critères géographiques (quartier, port ou groupement de ports), d'activité (métier, voire type du 1er engin) et de longueur. Elle résulte du couplage entre des tests statistiques (500 tirages aléatoires) et l'expertise des comités ;
  • Le nombre de navires à enquêter est déterminé par la formule de la théorie des sondages suivante : n>N(b^2+0.5^2x1.96^2)/(b^2N+0.5^2x1.96^2) où n est le nombre de navires à enquêter, N le nombre de navire de la flottille et b le taux de précision choisi entre 5 et 10 % (cf. détail du calcul dans Plissonneau (2014)) ;
  • Le nombre de navires à enquêter dans chaque strate est calculé grâce à une allocation proportionnelle.

Ce nouveau PE (dit PE2) est progressivement déployé dans les observatoires régionaux, de manière alternée avec un recueil "exhaustif" de données : deux années de recueil exhaustif (lancement de l'observatoire), suivies par deux années de recueil selon le PE2, puis à nouveau par une année de recueil exhaustif, et ainsi de suite.

Le PE2 (Bellanger et al 2015) peut cependant encore être amélioré en continuant à se baser sur la théorie des Sondages (e.g. Ardilly 2006, Tillé 2001). La stratification peut être affinée et les taux de sondage par strates mieux adaptés pour tenir compte des objectifs de l'enquête : estimations transversales et longitudinales, estimation dans des domaines spatiaux et temporels. La masse de données déjà recueillies constitue en effet un terrain d'expérimentation privilégié pour tester d'autres techniques d'échantillonnage. Le tirage systématique est par exemple couramment utilisé pour réaliser un échantillonnage spatial (Cressie 1993). Plus récemment, d'autres méthodes de tirage à probabilités inégales telles que la méthode du pivot (Deville and Tillé 1998, Chauvet 2015) ou la méthode du Cube (Chauvet and Tillé 2006) ont été proposées pour sélectionner un échantillon bien équilibré spatialement (Grafström and Tillé 2013, Chauvet 2015). La méthode du Cube présente également l'avantage de pouvoir incorporer de l'information auxiliaire dans l'échantillonnage, ce qui permet d'obtenir des estimateurs plus précis. Enfin, la prise en compte de la spatialisation des données dans les étapes importantes de l'enquête telles que le traitement de la non-réponse, le redressement des estimateurs ou la production d'intervalles de confiance est un domaine encore peu traité dans la littérature et où beaucoup de travail reste à faire.

Projet ESPADON

Le projet interdisciplinaire ESPADON « Echantillonnage SPAtialisé pour la collecte de DONnées : application à la pêche maritime professionnelle » (coord. L. Bellanger) retenu pour 2016 dans le cadre du défi Littoral lancé par le CNRS a constitué une première étape pour continuer d'améliorer le plan d'échantillonnage. Dans ce cadre, les 8èmes Journées de Méthodes Avancées pour l'Analyse de Sondages Complexes (MAASC) ont été organisées à Nantes sur le thème de l'échantillonnage spatial et l'estimation spatialisée.

Application VALPEMAP

Concernant les premier et troisième risques identifiés (moyens des comités, erreurs de saisie), alors que les enquêtes étaient initialement saisies manuellement dans des tableurs, la première campagne d'enquête dans les Pays de la Loire en 2011 a permis de constater que cette saisie manuelle entraînait plus de difficultés (volume de données à saisir, risque d'erreur, etc.) que d'avantages (facilité de déploiement). Il a donc été décidé d'automatiser la saisie via le développement d'une application dédiée. Suite à l'élaboration du cahier des charges en 2012, un travail de développement informatique par l'Université de Nantes a permis d'aboutir à la fin 2013 à une première version d'une application dénommée VALPEMAP, alors déployée « offline » (en local). Il s'agissait d'une application informatique permettant la saisie des données d'enquête via une interface cartographique.

Celle-ci est formée de deux composants logiques :

  • une partie serveur, décomposée elle-même en :
  • une application de serveur cartographique (GeoServer) ;
  • un serveur de base de données (PostgreSQL) ;
  • un back-end applicatif qui propose une API REST pour le stockage des données (technologie Java et suite logicielle Spring notamment).
  • une partie client : front-end applicatif en HTML / JavaScript, s'appuyant sur les composants Ext JS, GeoExt et OpenLayers notamment.

Aujourd'hui, l'application VALPEMAP est totalement fonctionnelle pour les opérations de collecte des données. En parallèle, un travail a été engagé pour développer une application VALPEMAP « online » (plateforme) permettant d'assurer non seulement les opérations de collecte, mais aussi celles de traitement (au moins pour les indicateurs développés au sein du GIS), d'archivage, de sauvegarde et de mise à disposition de produits à façon pour des tiers. Il s'agit donc d'une application plus complète, avec une maintenance facilitée, en complément du maintien d'une version offline (réduite aux seules fonctions de collecte) jugé nécessaire dans la mesure où tous les secteurs d'enquête n'offrent pas la disponibilité d'un réseau wifi ou de téléphonie haut-débit. A ce jour, la 2ème version de VALPEMAP online est en cours de développement et ne remplit pas encore toutes les fonctions souhaitées. Les tâches de travail se portent donc sur :

  • Finalisation de la production de cartes de restitution individuelles ;
  • Intégration à l'application des fonctionnalités de moissonnage, d'archivage et de sauvegarde des données (serveur de données partitionné, étanchéité entre les comités) ;
  • Paramétrage d'un accès pour des tiers pour des éléments mis à disposition ;
  • Intégration et mise à disposition des utilisateurs des indicateurs spatiaux et des indicateurs spatio-temporels.
Conformément aux objectifs du GIS, VALPEMAP permettra ainsi aux Comités de pêche qui n'auraient pas les compétences en interne, de pouvoir réaliser des traitements de données complexes (géomatique, statistiques).

Traitements statistiques et cartographiques

La masse de données déjà recueillie (voir Page "Fonctionnement"), de qualité hétérogène, nécessite la poursuite du travail interdisciplinaire exploratoire au niveau de la stratégie d'échantillonnage à adopter, mais aussi d'une manière plus vaste au niveau du traitement des données pour répondre à des problématiques très différentes aussi bien en lien avec le domaine spatial que temporel. Afin de définir et d'harmoniser les modalités de traitement des données par les différents Comités des pêches rassemblés au sein du GIS VALPENA, des indicateurs ont été mis en place (Plissonneau 2014). Ils sont actuellement au nombre de sept (voir ci-contre).

L'acquisition de données pluriannuelles implique désormais d'approfondir la définition d'indicateurs spatiotemporels permettant de restituer et d'analyser les espaces de pêche fréquentés par les flottilles sur plusieurs années. Il convient par conséquent :

  • d'étudier les variabilités intra- et interannuelles potentielles (différence entre indicateurs calculés chaque année, variabilité de la concentration d'activité, etc.) ;
  • de synthétiser et restituer les variabilités grâce à des indicateurs spécifiques à construire (indicateurs pluriannuels : moyennes, cumuls, etc.).

Une des difficultés dans la mise en place de tels indicateurs consistera à définir les conditions d'exploitation de données issues à la fois (i) d'enquêtes à visée exhaustive et (ii) de plans d'échantillonnage (alternance des deux modes d'acquisition de données, données acquises en vertu de deux plans d'échantillonnage, décalage entre les deux modes d'acquisition de données liées à des dates d'entrée différents des Comités des pêches dans le GIS VALPENA, etc.), notamment pour la production d'analyse pluri-comités.

Plus largement, si le volume de données le permet, on pourra envisager, pour un indicateur jugé pertinent et intéressant, de s'orienter vers une modélisation statistique spatio-temporelle pour étudier l'évolution à la fois dans le temps et/ou dans l'espace (e.g. Diggle 2013 ou Cressie 2013).

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Mis à jour le 29 juin 2018.
https://valpena.ppksup.univ-nantes.fr/donnees-de-spatialisation